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La théorie de la relativité émotionnelle

Elle s'avance d'un pas nerveux vers la cage d’ascenseur aux lumières blafardes et regarde tristement la rue grise et ses flaques miroitantes disparaître derrière les portes qui se referment. Le claquement métallique de leur union engendre un frisson qui lui parcourt l'échine, comme le froid glacial qui a enveloppé ses pieds humides après avoir attaqué ses escarpins. Ce même froid l'a suivie, elle et son parapluie noir, à travers les routes sinistres d'un matin d'automne. Enfermée dans cet endroit exigu, elle ressent une solitude oppressante comme si elle se voyait privée d'oxygène. Elle est seule avec elle-même et serre les dents suite à cette désagréable pensée. Elle attend, impatiente. Ses doigts dansent et pianotent sur ce qu'ils trouvent. La montée est longue. Elle fixe avec insistance les petites lumières rouges qui comptent les étages. Sa respiration se fait courte et saccadée. Dans sa course ascensionnelle, ses pensées s'attardent sur la fade journée qui l'attend. La matinée débutera par une lutte contre une fatigue insolente. Ensuite, la prise de conscience de la tâche à accomplir – ou peut-être l'abus de café – engendrera un stress insurmontable. A la mi-journée, l'averse ininterrompue la forcera à engloutir son sandwich maison entre deux dossiers, à l'abri du froid déprimant. Quelques heures plus tard, un geste compulsif lui fera avaler une infâme création calorique qui lui donnera l'illusion brève d'être heureuse et sera couronné par le remord, inévitable. Elle craint, précocement, l'ultime heure de labeur, interminable, dont elle scrutera chaque seconde s'écouler, telle une feuille d'automne prête à céder sous un vent inexistant. Cette journée sera comme toutes les autres, amère et intrinsèquement triste. L’ascension est interrompue. Un homme entre et la sort de sa torpeur. Pour elle, c'est un malaise ingérable. Elle n'a pas envie de saluer cet inconnu. Tous les deux restent de marbre, pas un sourire, pas un regard. Il fixe son téléphone pour tenter de disparaître. Elle fixe ses pieds pour lui échapper. Il lui tarde d'arriver à son étage, il lui tarde de terminer sa journée, il lui tarde de s'endormir pour enfin échapper à la dure réalité.

Deux ans plus tard, la même ville, le même bâtiment, la même personne.

Elle s'avance, presque en sautillant, vers la lumière de la petite boîte d’ascenseur et, d'un regard enjoué, elle observe la rue humide aux mille reflets disparaître derrière les portes qui se rejoignent à l'unisson. Elle se retrouve enveloppée dans un silence feutré et elle sourit. Elle se revoit gambader dans les rues, parée de son parapluie acidulé transparent qui crépite sous les gouttes de pluie, vêtue de ses bottes fleuries qui jouissent de leur utilité dans les flaques matinales. Elle respire profondément pour savourer cet instant de solitude salutaire. Pourvu qu'il ne soit pas trop court. Elle détourne le regard du compteur d'étages ; elle imagine qu'il ne s'arrêtera jamais et qu'elle atteindra les étoiles. Dans sa rêverie ascensionnelle, elle se laisse envahir par quelques pensées agréables qui listent ses petits plaisirs du jour. Elle entend déjà les éclats de rire qu'elle libérera devant la machine à café aux côtés de son collègue, humoriste à ses heures. Au moment le plus inattendu, elle échangera un regard avec le nouveau stagiaire - moment intime qu'elle gardera jalousement pour elle. Lorsque son estomac pointera la faim, elle dégustera sa délicieuse salade de fruits au sirop d'érable. Le moment le plus fort se passera à la pause de la mi-journée qu'elle s'octroiera en sortant sous la pluie vivifiante. Son délicieux en-cas maison entre ses doigts, elle écoutera sa musique préférée sur son lecteur portable et se laissera envahir par le bonheur d'être en vie. Peut-être donnera-t-elle rendez-vous à une amie pour discuter ou faire du lèche-vitrine. Peut-être aidera-t-elle un touriste à trouver son chemin ou n'importe qui dans le besoin, esseulé dans la rue désertée par la pluie. L’ascension est interrompue. Un homme entre et la sort de sa rêverie. Pour elle, c'est un petit défi : lui apporter une pépite de bonheur. Elle le salue sincèrement avec un sourire chaleureux. Il s'étonne, surpris de tant d'attention pour lui. Il lui répond en esquissant un sourire timide, mais sincère. Elle arrive de bonne humeur à son étage, calme et prête à toutes les situations. Elle fera son travail consciencieusement, avec entrain, et ce soir, elle s'endormira la tête débordante d'idées simples pour agrémenter le lendemain.

Elle sait maintenant qu'il faut prendre sa vie en main pour la rendre agréable. Elle sait maintenant que la vie a le reflet du bonheur que l'on s'octroie.

 

Lien du concours

 

Concours "aufeminin.com" été 2014

Thème : Elle entre dans l'ascenseur et les portes se referment...

 

Source d'inspiration: Les sages paroles de mon papa au feu rouge

 

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