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Deux sangs raisons de haine

 

Je passe une main tremblante sur ma lèvre baveuse de sang. Je suis à genoux. Un de mes bras m'empêche de glisser sur le sol poisseux de la ruelle. Je suis prêt à flancher, après ce troisième coup, mais je ne lui laisserai pas cette joie. Pas tout de suite. Pourtant, la douleur qui rayonne dans ma poitrine aura bientôt raison de moi. Je lève le regard vers mon agresseur. Dans ses yeux, le dégoût danse un tango avec le mépris, mais de mon côté, il m'est impossible de le haïr. Je n'ai pas cette fibre en moi. D'ailleurs, j'ai toujours été celui qui prend les coups. Je n'ai pas le souvenir qu'il en eût été autrement. Peau trop foncée, yeux trop noirs, oreilles trop grandes, mauvaise religion, il y a toujours une bonne raison de me détester. Je suis même celui dont la mère n'a pas voulu. L'oublié dans un berceau, oublié dans la rue.
Je tente de me redresser. Je ne comprends pas pourquoi je fais ça, car je sais que c'est un combat perdu d'avance. Je suis seul, il est fort. Il fait nuit, je suis désarmé. Je le vois reculer sa jambe. Il prend de l'élan. Je sais déjà où je recevrai le coup. Le choc m'atteint au sternum et me coupe en deux. Je tousse un râle de douleur. Je respire par à-coups et crache mon liquide vital, avant de m'étaler sur le sol. Je suis presque inconscient. Cette fois, je ne pourrai plus me relever. Pourtant, dans mon souffle court, je tente de lui murmurer :
- Notre foi... est notre force commune... Les religions n'en sont que la forme... Et malgré leurs différences,... toutes... nous chantent l'amour.
L'effort me prive de lucidité. Je perds connaissance sur les pavés froids de la ruelle malfamée. Mes pensées se mélangent, alors qu'il hurle des mots dégradants. Il finit par me cracher dessus. J'entends à peine le claquement de ses chaussures lorsqu'il s'éloigne.

Pourquoi suis-je au sol ? Dans mes souvenirs brumeux, je revois un bar, une discussion, trop d'alcool pour certains, des paroles philosophiques pour d'autres, puis un accrochage, un ton provocateur, un barman en furie, une tentative de fuite, un cul-de-sac, un coup sur le visage, d'autres dans la poitrine... Maintenant, je connais la fin de l'histoire : elle se termine mal. Je ne survivrai pas.

Peuple des Hommes, je vous quitte, car la tolérance n'a pas encore atteint le cœur de chacun de vos semblables. Votre haine a mis fin à mes jours et j'en ressens une immense tristesse. Croire est tout ce qu'il nous est offert ; les Hommes n'ont pas accès à la vérité. Nous avons une seule certitude : nous faisons partie du même univers, nous avons donc tous la même essence.

Mes pensées se dissolvent. La mort m'emporte. Dans quelques jours, ma disparition sera communiquée comme un fait-divers sans grande importance. Mon meurtrier ne saura jamais que j'ai été abandonné à la naissance, tout comme lui. Jamais il ne saura qu'il avait un frère de sang et que, pour une stupide différence de religion, il l'a tué dans un geste de haine.

Lien du concours

 

Concours "aufeminin.com" été 2017 (max 3000 caract.)

Thème : Ô vous frères humains.

 

Source d'inspiration: Bonne question. Aucune idée.

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