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Matteo

Matteo. Rien que ton prénom me rappelle le soleil d'Italie. Je me souviens de tes cheveux blondis par l'été et de ta peau caramel. Tu connaissais quelques mots de français et ton accent me faisait chavirer. Nous nous aimions, enfin je crois. C'est sur toi que j'ai posé pour la première fois un regard différent sur les garçons, c'est vers toi que j'ai eu mes premiers gestes de tendresse envers le sexe opposé. Que de souvenirs heureux me viennent en tête lorsque je repense à toi ! Tu n'étais qu'un amour de vacances mais, chaque année, dans la chaleur torride du mois d'août, nous partagions nos meilleurs moments.

A l'approche de nos retrouvailles, je me permets de repenser à toi, toi que j'ai essayé d'oublier pour pouvoir continuer à vivre. Je regarde l'heure. L'adrénaline qui faisait vibrer mon cœur un peu trop fort ces derniers jours fait place petit à petit à une légère rancœur. Après deux heures d'attente, je ferais peut-être bien d'accepter que tu n'aies pas désiré me revoir. En vingt ans, tu auras peut-être fini par m'oublier. Mais pas moi : je suis là à t'attendre, Matteo. Pourquoi, toi, n'es-tu pas venu ? Nous nous étions promis. Nous avions signé ce petit bout de papier de nos deux mains, il y a vingt ans, nous donnant rendez-vous ici-même, sur le banc blanc à côté de ton école. Je l'admets, le banc n'est plus vraiment blanc maintenant ; le temps a attaqué la peinture pour dévoiler sa couleur naturelle. Mais je ne pourrais pas l'oublier. Le banc de notre dernière séparation devait être celui de nos retrouvailles. Matteo, pourquoi me fais-tu souffrir ? Je t'en veux mais l'espoir me tient liée à ce banc. C'est étrange comme je n'arrive pas à croire que tu aies pu oublier... J'ai cette certitude au fond de moi que tu viendras. J'ai foi en toi.

Je ne peux pas partir sans réponse, sans savoir ce que tu es devenu. Alors je te cherche, assise sur le banc, internet au bout des doigts. Je te cherche sur les réseaux sociaux, sur la toile, toi, mon Matteo. Je m'attends à voir que tu es devenu médecin, que tu es marié avec deux enfants et très heureux. Mais non. Rien ! Il n'y a RIEN sur toi. C'est étrange. De nos jours, il est vraiment difficile de se faire oublier sur internet. Comment cela se pourrait-il ? Un sentiment étrange me parcourt, une sensation désagréable, une angoisse paralysante... Serais-tu... mort ? Je ne peux pas accepter cette idée. Je vais chercher autrement et je te retrouverai.

Je m'éloigne du petit banc en espérant reconnaître ton visage parmi les passants. Mais non, personne ne te ressemble, Matteo, personne. Tu es unique ! Je quitte la petite place et je marche d'un pas décidé vers la maison où tu habitais, avide de réponses. Je suis sûre que je trouverai quelque chose. Je traverse les ruelles étroites à l'ombre du soleil brûlant. Je marche vite, trop vite pour un lieu de villégiature. Je vois le bout de la rue qui débouche sur la plage et je devine déjà ta porte d'entrée. Je vois, comme jadis, par la fenêtre fleurie, ouverte sur le bleu de la mer, une femme qui s'affaire. Ta mère ! Elle vit toujours ici. Je vais enfin savoir ce que tu es devenu. Je me permets de sonner à la porte. La femme vient m'ouvrir et, pendant quelques secondes, je ne sais quoi lui dire. Je dois voir Matteo, dis-je en italien. La femme me répond qu'il n'y a pas de Matteo ici. Je tente tant bien que mal de lui expliquer que nous étions amis quand nous étions enfants et que nous devions nous retrouver aujourd'hui. La femme me répond avec une franchise terrifiante. Elle n'a jamais eu de fils. Je lui demande de bien vouloir m'excuser et je sors, confuse. Me serais-je trompée de personne ? Ce serait difficile, c'est la même maison, c'est la même personne avec vingt ans de plus.

Je ne me sens pas très bien. Je me sens même très mal. Je ne comprends pas. Je ne te reverrai plus jamais, toi, mon premier amour. J'ai envie de pleurer, je me sens perdue. Je retourne vers l'école et le petit banc qui m'attend, toujours vide. Je m'assieds. Sous le coup du désespoir, j'appelle ma mère. Je lui demande de m'envoyer l'unique photo que j'ai de toi : celle où nous jouons sur la plage avec, en arrière-plan, un superbe château de sable que nous avions construit ensemble. Aussitôt demandé, aussitôt reçu. J'ouvre le message de ma mère. Je ne prends pas le temps de lire ce qu'elle a écrit. Ce dont j'ai besoin, c'est de te voir, Matteo, d'avoir une preuve que je n'ai pas rêvé. J'ouvre la photo en attaché et j'attends quelques secondes que ton doux visage apparaisse devant mes yeux. Ces secondes sont extrêmement longues. La photo prend tout l'écran mais ton visage n'y est pas. J'oublie de respirer, je commence à trembler. La photo est celle de mes souvenirs mais je suis seule devant notre superbe château de sable... Cette fois-ci je ne peux plus me contrôler. Je fonds en larmes, je me sens vidée, je n'ai plus envie de rien. Suis-je devenue folle ? La main tremblante, le corps pris de sanglots, je ferme la photo et me risque à lire le message de ma mère : « Ma chérie, si c'est aujourd'hui que tu dois apprendre la vérité, sache que nous n'avons jamais voulu te faire de mal. Nous pensions te faire plaisir en jouant le jeu. Matteo n'a jamais réellement existé, il était ton ami imaginaire quand tu étais enfant. Il t'a aidée dans tant de moments difficiles que nous ne pouvions pas l'ôter de ta vie. Courage ma chérie ».

Je tombe dans un profond désespoir. Je viens de perdre tous mes repères en un instant. Matteo, je t'aimais vraiment, ça ne se peut pas... Je sens le bonheur disparaître et je suis envahie par la plus grande tristesse de toute ma vie. Je pleure comme une enfant, perdue, seule sur mon banc qui, pour moi, est toujours blanc lorsque, le visage enfoui dans mes mains, je sens une étrange présence, réconfortante. Je lève la tête lentement. Devant moi se tient un bel homme, bronzé, blond aux yeux noirs, qui me dit avec son accent italien : « Tu vois, je suis venu. »

 

Lien du concours

 

Concours "aufeminin.com" été 2014

Thème: Qu'est devenu mon premier amour?

 

Source d'inspiration: Mon fils

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