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Maman de poussière

 

Aujourd'hui, je gère. Quarante minutes de terrain de jeux, deux enfants, zéro bobo, zéro dispute. Incroyable ! J'ai presque envie de lever les bras au ciel pour célébrer cette victoire, mais ça risque de faire un peu désespéré. Ce matin, je me sens un brin provocatrice et j'opte pour une façon plus subtile d'étaler mon talent. Je glisse mon livre hors de mon sac à main et j'ouvre mon roman sur le signet... Tiens, où est-il ? Surtout ne pas se laisser trahir par cette futilité. Je cache mon trouble et je joue le jeu. Le choix de la page est laissé au hasard.
Je lis : « L'effluve sucrée de ses cheveux blonds... »
Blonds. Marine. Que fait-elle ? Je lève les yeux de mon roman. Elle joue avec son frère sur le tourniquet. Tout va bien.
Je continue ma lecture : « Il s'approcha de ses lèvres qui criaient leur amour... »
Des cris. Mes enfants ? Non, ce ne sont pas eux. Aujourd'hui, ils sont parfaits et JE suis parfaite ! Parfaite, parfaite, parfaite ! Et je peux même lire. Enfin, « lire », disons que je tente de déchiffrer le sens d'une suite de lettres qui sont censées former des mots qui devraient faire des phrases pour former des chapitres et une histoire dont je ne me souviens plus du début vu que cela fait trois mois que je l'ai commencée !
Je poursuis : « Lorsque le soleil, derrière l'horizon, disparut...»
Disparus ! Ça y est. Je ne les vois plus. Plus de casquette bleue, plus de couettes blondes. Où sont mes enfants ? Ma raison tente de me murmurer qu'il faut respirer avant de... Mais je ne l'écoute pas. Lorsqu'il s'agit de ma progéniture, l’instinct parle en premier. Je suis déjà sur mes jambes et je trottine en criant leurs noms. La panique doit même s'entendre dans le désaccord de ma voix. La honte ! Je culpabilise aussi. Lire ? Quelle idée ! Ce luxe n'est pas destiné aux jeunes mamans. La perfection ? Un concept à oublier.
Soudain, j'aperçois mon fils qui montre quelque chose du doigt. Je cours vers lui, à moitié rassurée, et là, je la vois. Ma fille, ma princesse, mon trésor, étalée de tout son long, sur le ventre, dans la poussière du parc.
‒ Oh ! ma chérie ! Que t'est-il arrivé ? T'es-tu fait mal ?
Elle reste muette, mais un grand sourire se dessine sur son visage. J'observe ses bras en croix, étrangement étendus à l'infini, comme si elle tentait d'attraper quelque chose. Quelle drôle de position ! Comment a-t-elle pu tomber ainsi ?
‒ Marine, lève-toi, enfin !
‒ Arrêteee...
‒ Mais Marine, tu ne vas pas rester par terre toute la journée ?
‒ Laisse-moi, maman. Je fais un câlin à la Terre.
Je souris. Je suis tellement soulagée qu'elle aille bien et touchée par son acte d'amour que je me couche à ses côtés dans la même position qu'elle. J'étreins la Terre de toutes mes forces. Toutes les deux, dans la poussière, nous échangeons un rire complice. Nous sommes coupées du monde, dans notre bonheur réciproque. Je me sens enfin libérée du jugement des autres, car Marine vient de me rappeler l'essentiel : la joie se trouve dans la spontanéité !

Lien du concours

 

Concours "aufeminin.com" été 2017 (max 3000 caract.)

Thème: Je suis une femme

 

Source d'inspiration: Une pensée basée sur un souvenir d'enfance.

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